Toits de Paris
Ce matin-là, Alice s'est sentie particulièrement lasse de courir. À force de vouloir rendre service aux uns et aux autres, elle s’est épuisée. D’accord, elle revendique souvent toutes ces obligations. Mais aujourd’hui elle en a marre.
Le carillon sonne dix heures.
— J'ai le temps de faire quelques courses.
Elle ouvre la fenêtre. Le ciel est nuageux. Elle enfile un gilet bleu et attrape son vieux sac marron. En passant devant la
glace de l’entrée, elle y jette un coup d'oeil. Elle passe les doigts dans ses cheveux en les plaçant en arrière, arrange le foulard blanc et regarde sans émotion la femme du miroir.
Habituellement elle lui souriait, mais cette fois-ci, le visage d’en face ne la regarde pas amicalement.
Elle ferme soigneusement la porte d'entrée, descend les quatre marches qui mènent à la cour. Quelle chance, on lui a souvent dit, d'avoir une maison à Paris. Dans cette étroite rue de l'est de la capitale, à proximité de la station de métro Belleville, toutes les maisons se ressemblent. Elles sont accolées les unes aux autres, construites en brique rouge avec un rez-de-chaussée, un seul étage mansardé et devant, une petite cour.
En fermant le portillon, elle se retourne. La maison avec ses fenêtres blanches et ses volets bleus lui apparaît minuscule. Comme une maison de poupée. Dans chaque coin de la cour, elle a disposé de vieilles poteries remplies de fleurs. Alice adore les Alpes, ses coins sauvages, isolés du monde. La vie y semble différente. Elle aime y flâner, observer les gens du pays, en enviant leur calme et une certaine philosophie de vie, déjà perdue des citadins.
De ces escapades, elle rapportait ces pots vieillis par la mousse, des cruches avec ou sans anses.
— Il y en a qui doivent me prendre pour une excentrique.
— Allez, en route, se dit-elle à voix haute pour se donner du courage, en s'installant derrière le volant de sa Twingo bleue. Au début, elle la voulait jaune.
— Le bleu est assorti aux volets de ta maison, a suggéré Pierre.
Alors, elle s'est laissée persuader et ne le regrette pas. C’est beau le bleu.
- - -
Le feu passe au vert. Quelqu’un klaxonne derrière elle. Hier, elle aurait fait un signe de la main pour s'excuser. Aujourd'hui, elle soupire seulement, passe la première et démarre. En face d'elle, une voiture rouge s’apprête à tourner à gauche. Le garçon assis au volant hésite un bref instant et finalement avec un sourire semblant dire - ah, je suis plus rapide que vous - accélère brusquement et tourne à gauche en coupant la route à la Twingo.
Alice lève le pied. Sans freiner. Sa voiture s’encastre dans l'aile droite de la Golf. Le choc est violent, mais la ceinture la maintient en place. Ni le bris de glace, ni le bruit de tôle froissée, ni le crissement des pneus ne lui font peur. Elle ne sent pas non plus de douleur. Seulement un silence.
Le jeune sort de sa voiture, regarde rapidement les dégâts et, sans se contrôler, crie : “Vous l'avez fait exprès ! Il aurait suffi de freiner juste un peu pour me laisser passer ! Vous aviez pourtant le temps !”
Alice entend la voix, mais ne distingue pas les mots. Elle veut répondre. Mais comment expliquer le sens du geste qu’elle-même ne peut pas comprendre.
— Madame...
Si vous souhaitez lire cette nouvelle en entier laissez-moi un commentaire ou adressez-moi le mail
La valse
Je remarque que les yeux de ma mère sont rouges. Mon père tire nerveusement sur sa pipe. J’entre dans ma chambre pour déposer mon cartable, j’y traîne comme tous les jours après la classe. Ma mère ne m’appelle pas, comme elle le fait habituellement. Je n’aime pas ça. Je regarde mes mains : elles tremblent.
- J’ai faaaaaim !
Avec ce cri, j’arrive dans la salle à manger. Ils sont là, assis à table et m’attendent. Mon père lit son journal, comme tous les soirs. Ma mère tourne la cuillère dans son assiette de soupe, on dirait qu’elle y cherche quelque chose, tellement elle s’applique. Moi, quand je fais ça, elle me gronde. Elle ne doit pas aimer la soupe, je me dis. Je n’ai jamais compris pourquoi les adultes font à manger des choses qu’ils n’aiment pas.
Quand je serai grande, moi …
Je cours me laver les mains, sans qu’ils aient à me le dire, je sens que de toute façon, personne ne m’aurait rappelé ça ce soir. Ils sont « ailleurs ». C’est le moment idéal pour leur annoncer une mauvaise note à l’école, un pull déchiré, le besoin d’un nouveau cahier. Mais rien ne me vient à l’esprit. Je laisse tomber.
La soupe est presque froide. Pas grave, je n’aime pas la soupe aux champignons. On mange en silence. Presque. Le bruit de nos cuillères qui, en plongeant dans les assiettes, frottent sur le fond paraît gigantesque. Je m’applique pour plonger ma cuillère sans toucher le fond. J’avale le contenu de la cuillère lentement, sans bruit, en fermant bien la bouche, comme m’avait montré un jour mon père. Eux, ils font du bruit en mangeant ce soir. Je suis la seule à faire attention.
Un instant, je ferme les yeux « pour entendre la vie », selon l’expression favorite de mon professeur de musique. Je m’attends à ce que mes parents me le reprochent. Je m’en fiche. Je veux entendre la vie. Ses cris, ses bruits, ses pleurs, n’importe quoi, sauf ce silence mortel !
Je reste penchée sur mon assiette et tends l’oreille.
Comme par magie, j’entends un son lointain glisser en moi comme une danse. J’ouvre les yeux. Je l’entends toujours. Mon regard parcourt la pièce à sa recherche, discrètement, je me trompe peut-être. La lumière verte du transistor est allumée. Je me lève, tourne le bouton, la musique envahit la pièce. Je m’attends à ce qu’on me demande de baisser le son. Je ferme les yeux et cherche dans ma tête une réplique du style : « je veux entendre du bruit, votre silence me fait peur », mais je sais que jamais je n’oserais leur dire ça. À eux qui ne connaissent pas la violence, pas même celle des mots.
Un bruit de chaises déplacées me sort de mon rêve.
Ils se lèvent, en ne se quittant plus des yeux, se trouvent maintenant debout face à face. Les mains de mon père dénouent avec adresse le tablier de ma mère pour le faire virevolter à travers la pièce sous mon regard ébahi. Il y a de quoi, le bout du tablier a atterri dans mon assiette !
Leurs mains se rejoignent, leurs corps s’enlacent et tourbillonnent au rythme du « Beau Danube bleu ».
Alice regarde l’heure. Il est 17 heures. La table est déjà mise. Quelques branches de sapin entourent les assiettes et donnent le ton à cette journée de fête unique : le réveillon de Noël.
Les invités n’arriveront qu’à 20 heures, mais Alice aime prendre son temps pour préparer le repas, soigner les détails et rendre ce moment bien réussi.
Depuis qu’elle s’est retirée à Vémars, elle a refait la paix avec le temps. Avant, il avançait à toute allure, la précédant sans pitié. Parfois elle le poursuivait en courant, de peur qu’il lui échappe définitivement. En prenant sa retraite, elle a choisi de s’installer dans ce petit village qui lui semblait vivre au rythme de ses habitants et non au rythme des pendules. Même l’horloge de l’église, est figée à 1h05 et plus personne ne se souvient si les aiguilles ont refusé d’avancer dans la journée ou la nuit.
Seul inconvénient de son déménagement : ses amis parisiens ne peuvent plus passer prendre un thé au gré de leurs envies. Plus personne ne frappe à sa porte de façon impromptue. Elle aimait beaucoup ces visites surprises…
Alice jette un dernier coup d’œil à la table.
« J’ai oublié l’assiette du pauvre ! »
Elle sort de la commode une photo d’enfant, la glisse sous la nappe à l’endroit précis où elle ajoute la sixième assiette et murmure « ainsi tu seras avec nous ».
Il lui reste à emballer les cadeaux, le moment qu’elle préfère dans la préparation de Noël. Elle ressent toujours un immense plaisir à choisir ou à confectionner les présents qu’elle prévoit pour ses invités. C’est presque un abandon quand elle remet le cadeau, surtout si on n’y prête pas beaucoup d’attention. Cette année Barbara recevra la lettre que son père a écrit en apprenant qu’Alice attendait un enfant. Pudique, il a préféré exprimer son émotion par écrit. Cette belle lettre d’amour partagé entre sa femme et sa fille était une sorte de talisman pour Alice, aujourd’hui elle est prête à passer ce porte-bonheur à sa fille.
Son gendre recevra un album de Robert Doisneau, dans lequel elle a glissé deux invitations à l’exposition de ses photographies. Pour son petit fils, amoureux d’objets anciens, elle a déniché un vieux phonographe. Le plus difficile était le cadeau pour Véronique. Jusqu’à l’âge de dix ans, sa petite fille adorait les cadeaux de sa grand-mère. Plus ils étaient fait main, plus elle en était contente. « Tu es magicienne, mamie », disait-t-elle, en découvrant un tapis de jeu, une valise pleine de vêtements pour sa poupée préférée ou un carnet intime décoré de ses dessins d’enfants. Depuis deux ans, Véronique feuillette les catalogues de jouets reçus dans sa boîte à lettre, regarde avidement les publicités à la télé et …. fait sa liste. A l’image d’une liste de mariage !
Si vous souhaitez lire cette nouvelle en entier laissez-moi un commentaire ou adressez-moi le mail
L’homme au chapeau
Flora ne l’a pas remarqué tout de suite. Il se fondait dans le décor encore nouveau pour elle. Elle est arrivée à Meung-sur-Loire, quelques mois plus tôt. La ville l’a tout de suite séduite. Elle aimait flâner le long des Mauves ou suivre des ruelles, parfois très étroites, entourées des maisons aux fenêtres habillées de rideaux de lin. Au gré de ses balades, elle a découvert La Monnaye, ouverte sur un jardin fleuri, dont la pelouse invitait à une pause sur l’un des transats aux couleurs acidulées. La médiathèque lui est devenue familière, elle y passait tous les jeudis après-midi, jours où elle n’avait pas de cours à la fac.
C’est alors qu’elle le remarque ou plutôt elle remarque un chapeau noir aux larges bords, d’où s’échappent de longues mèches blanches. Son propriétaire, un homme d’une soixantaine d’années porte une chemise claire sous une veste aux manches retroussées à la manière d’un artiste….
Il vient tous les jeudis dès 14h30. Que vient-il chercher ici avec tant d’assiduité ? Flora jette parfois un coup d’œil sur les livres qu’il emprunte. Il aime visiblement tout, des romans policiers, des livres d’histoire, des biographies et même la poésie… c’est un enseignant à la retraite, conclut la jeune fille.
L’homme au chapeau est différent des autres lecteurs, il a un comportement surprenant. On dirait qu’il lit aussi avec ses mains. Il pèse chaque ouvrage, comme pour en apprécier le poids, puis caresse la couverture comme on effleure le visage d’un être aimé, enfin, il tourne les pages une à une, délicatement, comme un archéologue conscient de la valeur de l’objet qu’il a entre les mains.
Subjuguée, Flora se laisse attirer par cette cérémonie, oubliant qu’elle ne quitte pas l’homme des yeux.
* * *
— Vous l’avez aimé ?
La voix surprend Flora. Elle se retourne, l’homme au chapeau pointe du doigt le livre qu’elle s’apprête à rendre, La jeune fille à la perle.
— J’ai adoré.
— J’ai vu le film, mais pas lu le livre, pas encore, confie l’homme en souriant.
— Et moi, je n’ai pas vu le film, pas encore répond Flora en lui renvoyant son sourire.
— Vous êtes habillée en bleu, comme la jeune fille du livre, remarqua-t-il.
— Un hasard, mais j’aime le bleu.
— Moi c’est plutôt le noir et blanc.
— Le négatif et le positif alors ?
— La vie est faite de contrastes ou plutôt de surprises, parfois on s’attend au pire et la lumière apparaît, ou alors tout semble clair et la difficulté surgit.
Si vous souhaitez lire cette nouvelle en entier laissez-moi un commentaire ou adressez-moi le mail
PROCHAINES EXPOSITIONS :
PROCHAINES CONFERENCES :
PROCHAINE DÉDICACE :
Vos avis
Vous avez aimé ou pas mon travail... vous souhaitez partager vos ressentis, formuler des suggestions ou commentaires ? c'est ici. Merci ! Je tenterai de les prendre en considération ou de vous répondre
Patrice LITOLFF (vendredi, 06 janvier 2023 15:24)
Bonjour Elzbieta
Quand on essaye de rédiger un commentaire, le texte qu'on écrit ne paraît pas . On l'écrit à l'aveugle. Pour faire apparaître le texte , il faut passer la souris sur le texte.
Autre remarque : est-il possible de prévoir un cadre où chaque visiteur du site pourrait lire les commentaires des autres visiteurs? Cela dynamiserait l'audience du site.
Je t'embrasse.
Patrice LITOLFF
Besançon