La lumière

 

 

 

Quand le jour s’éteint,

 

Quand les bruits de la rue s’estompent

 

Et les pas du monsieur du troisième s’éloignent

 

J’ouvre large la fenêtre

 

Me penche dehors

 

Et fixe la petite lumière de la maison en face.

 

 

 

La dame en bleu se lève,

 

Allume la bougie, comme hier

 

Sort le livre,

 

Parcourt les pages de ses mains blanches,

 

Le regard fixé au loin, vers ma fenêtre.

 

 

 

Je ne lui fais pas de signe.

 

Elle sait que je suis là, elle m’attendait.

 

Avec la pénombre, son alliée de toujours.
 

 

La lumière est pour moi.

 

 

 

 

 

 

 

Ne refuse pas mes mots

 

 

 

Ne refuse pas mes mots, tu me disais.

 

Je les ai écoutés, sans les entendre.

 

Puis, je les ai rangés dans le tiroir de ma commode.

 

Le tiroir du bas, là où on ne va presque jamais.

 

 

 

Un jour le tiroir du haut rempli au raz, s’est d’un seul coup vidé

 

Laissant une place immense.

 

Un véritable trou noir.

 

Alors, j’ai remonté le contenu du tiroir du milieu dans le tiroir du haut.

 

 

 

Le tiroir du milieu est devenu vide à son tour.

 

J’ai remonté tes mots dans le tiroir du milieu.

 

J’y venais plus souvent désormais.

 

On se faisait des causettes, des clins d’œil, de fous rires même !

 

Tu restais dans ton tiroir. Moi dehors.

 

 

 

Puis, j’ai décidé de jeter le contenu du premier tiroir,

 

Celui qui était avant au milieu.

 

Je l’ai décidé sans peine ni remords.

 

J’ai compris que je devais y ranger tes mots.

 

Et là, je te rendais visite souvent.

 

J’aurais même voulu le faire tous les jours.

 

Mais je soupçonne de te déranger.

 

Tu as l’air de t’y trouver bien. A l’abri.

 

 

 

Maintenant, j’entends tes mots.

 

Je ne les refuse plus.

 

Tu veux bien me les redire ?

 

 

 

 

 

 

 

Regarder dans la même direction

 

 

 

Nous nous regardions les yeux dans les yeux

 

Sans remarquer les voisins ni les amis

 

Le monde qui nous entourait servait de déco

 

Immobile et passif.

 

 

 

Un jour, mon regard a glissé sur ton épaule

 

Pour chasser une poussière jusqu’ici invisible

 

Tu as remarqué, un peu étonné,

 

qu’une fine ride s’est logée au milieu de mon front.

 

 

 

Mes doigts touchaient plus souvent les épaulettes de ta veste

 

Que la naissance de ton cou.

 

Tes regards glissaient

 

Vers les tableaux accrochés au mur, derrière moi.

 

 

 

Puis, nous avons pris place dans le train

 

Côte à côte, et plus face à face.

 

Nos têtes se penchaient l’une vers l’autre pour mieux entendre

 

Nous parlions bas pour ne pas déranger.

 

 

 

A force de plus pouvoir distinguer nos mots

 

Nous en échangions de moins en moins.

 

Nos mains, autrefois impatientes à la recherche mutuelle

 

Restaient inertes.

 

 

 

J’aimerais te tourner le dos

 

Me lover contre ta poitrine

 

Sentir tes mains enlacer mon ventre

 

Et regarder au loin, dans la même direction que toi.

 

 

 

Mais tu n’es plus.

 

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Si tu tournes les pages…

 

 

 

Si tu tournes les pages de ton cahier d’écolier

 

Tu verras des rires, des larmes et des dessins coloriés

 

Aussi, des récitations et dictées

 

À toi de visiter ton enfance dissipée

 

 

Si tu tournes les pages de ton livre préféré

 

Tu percevras des mots sages et des mots soulignés

 

Aussi, des émotions passées

 

À toi de raconter ta jeunesse timorée

 

 

Si tu tournes les pages de ton album photos

 

Tu saisiras des visages et des paysages tremolo

 

Aussi, des délicieux souvenirs

 

À toi d’honorer ton passée qui mène vers l’avenir

 

 

Et maintenant

 

 

Prends un cahier tout neuf

 

Ouvre-le sur une page blanche

 

N’écris pas de roman-fleuve

 

Dépose tes espérances 

 

 

Mais ta page blanche naguère

 

De manière convenue

 

N’aura plus de mystère

 

De la sublime inconnue

 

 

N’oublie pas que ton rêve

 

Inscrit sur ta page blanche

 

Qu’il soit long, qu’il soit bref

 

Demande de la patience.

 

 

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Trois rebelles

 

 Qu’as-tu fait grand-mère après ?

 

Après ? C’est loin tout ça, tu sais…

 

J’ai hurlé ma douleur

 

D’avoir perdu mon père

 

D’avoir manqué de sa sagesse pour me guider

 

D’avoir manqué de sa tendresse pour grandir

 

J’ai protesté

 

Contre l’absurdité d’une guerre des hommes

 

Contre la barbarie et la cruauté

 

Puis, je me suis rebellée pour me remettre debout

 

Et reconstruire ma vie.

 

 

 

Qu’as-tu fait maman après ?

 

Après ? C’est très douloureux, tu sais

 

Je me suis indignée

 

Quand un homme tue un homme

 

Qu’il s’agisse d’un Juif, d’un vagabond ou d’un Rom

 

Il détruit l’humanité.

 

J’ai protesté contre ces attentats

 

Tuer des innocents au nom d’une religion

 

Quelle mensonge et absurdité !

 

Puis, je me suis rebellée pour continuer à vivre

 

Sans jamais oublier.

 

 

 

Que vas-tu faire ma petite fille maintenant ?

 

Maintenant ?

 

Je vais marcher la tête haute aux côtés des autres

 

De tous les autres, sans distinction de la couleur de leur peau

 

Sans distinction de leur religion

 

Je vais toujours leur tenir ma porte ouverte

 

Pour construire une vie plus douce que la votre

 

Pour lui donner du sens et de l’amour

 

Je vais résister toujours et partout

 

À quoi ?

 

À la violence, la bêtise et l’intolérance.

 

Tu es en colère ?

 

Oui, je suis bien trop rebelle !

 

 

 

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Tout bleu

 

 

 

Et si le soleil devenait bleu

 

Comme l’océan qu’il effleure ?

 

Certes, c’est une boule de feu,

 

L’eau amoindrirait sa chaleur

 

Quand dis-tu ?

 

 

Et si la jonquille devenait bleue

 

Comme l’hortensia de mon jardin ?

 

Je sais, ses bourgeons sont fabuleux

 

Mais le ciel lui donnerait un air citadin

 

Tu ne le penses pas ?

 

 

Et si nos cœurs devenaient bleus

 

D’un bleu foncé, d’un bleu froid ?

 

Certains sont déjà querelleux

 

Pas trop, je croise les doigts

 

T’es pas d’accord je vois.

 

 

Et si la Terre devenait bleue

 

Elle est déjà un peu

 

Vue de l’espace, vue d’en haut

 

Emmitouflée par des eaux

 

Elle est à nous.

 

 

Sauvegardons les tons de nos fleurs

 

Préservons la palette de notre Terre

 

Mais nos cœurs, gardons les fleurs bleues